-« Dans la rue devant, il y a le bus 22 qui y va. il y a 1, 2, 3, 4… 5 arrêts » lui avait-elle dit en comptant sur ses doigts. C’est mignon pour une femme qui doit bien avoir 45 ans.
Déçu de devoir repartir à la recherche de la « vraie mairie », il fût rassurer d’apprendre qu’elle n’était qu’à une quinzaine de minutes de marche. 15 minutes quand on connait le chemin équivaut bien à 30 minutes en écoutant son instinct. En matière d’instinct, il n’avait définitivement pas une boussole dans la tête. Au mieux, il l’avait dans l’oeil, ce qui expliquerait sa mauvaise vue. Pourquoi les gens qui sont le moins pourvu d’une qualité se fient-ils le plus à cette dernière ? Pour conjurer le sort sans doute. Ainsi, quand il sortit de la mairie, qu’il regarda à gauche puis à droite avant de partir à gauche tête baissée, il faisait appel à la logique et à son sens de l’orientation. Pour la logique passe encore mais le reste…
Etonnement, c’était la bonne direction… sur les 20 premiers mètres. On ne lui avait pas dit qu’au carrefour, le bus 22 tournait à gauche. Et il ne risquait pas de le savoir, aucun bus ne passant à ce moment la. On lui avait donné une direction, il allait la suivre pendant 10 minutes. Pour rien bien sur, mais était-ce important d’avoir perdu ces 10 minutes alors qu’il en avait encore 475 200 devant lui. Il était paumé, c’est un fait et pour se sortir de cette impasse, il lui fallait une carte.
– « nan mais je suis super con en fait !! ». Il ne l’avait pas dit à haute voix mais le cœur y était. Depuis le début, il avait la solution dans son sac, la, à porter de doigts et il n’y avait même pas pensé une seule fois ! Son ipad ! Si il avait pris la peine de télécharger une carte de tokyo avec ses points d’intérêt, qui fonctionne sans connexion 3G, c’était bien pour des cas comme celui-ci. En deux clic, la mairie apparaissait sur la carte. Il n’était pas si loin, si l’on admet qu’être à l’opposer de l’endroit ou l’on veut aller, ce n’est pas très loin.
Sur un plan, il est facile de prendre les mauvaises décisions.
– « Si je vais à droite pour ensuite passer par la ruelle et revenir sur l’artère principale est-ce que je vais pas plus vite qu’en allant tout droit puis à droite, sur les axe principaux ? »
Il allait de soit qu’il allait choisir les petites ruelles, parce que c’est « tellement typique » en plus d’être vraiment labyrinthique. Il s’étonnait encore de voir combien ses petites rues, à peine assez large pour une voiture et demi, pouvaient être si pleines de vie. C’est à dire pleines de vieux à vélo pédalant comme si la mort était à leur trousse. Il faut les voir slalomer entre les passants en costume cravate, athlètes urbain du super G. Les maisons de ville qui bordaient ces ruelles étaient, comme presque tout dans ce pays, prévues pour résister aux tremblements de terre. Aucune ne touchaient sa voisine par exemple. Et par manque de place, pas un seul jardin personnel. C’est à peine si les garages sont assez grand pour rentrer une berline alors un jardin…
Sans sa mémoire photographique, il se serait emmêlé les pinceaux à coup sur mais il se souvenait du plan et connaissait la direction générale. Une bonne dose de hasard et un peu de bon sens avaient suffi à l’emmener devant cette immense bâtisse.
Rejeton improbable d’un papa hôpital et d’une maman mairie, il était indéniable que pour le physique, il tenait du papa. Le grand hall qui s’ouvre devant lui, bien que bas de plafond, impressionne et déroute. Le regard du citoyen lambda n’est accroché par rien, sauf par les deux hôtesse d’accueil. La première lui demande d’approcher et après avoir écouter ses explications, lui indique l’open space le plus proche en précisant que c’est le guichet 6 qui se chargera de sa demande. Peu importe le pays, l’administration fonctionne toujours de la même façon. On prend son ticket et on attend son tour. La machine à ticket, il ne sait pas à quoi elle ressemble mais au premier coup d’oeil, il sait que c’est elle. Sans hésiter, il s’en approche, appuie sur le bouton (il n’y en a qu’un) et prend son ticket. 385 alors que le 378 est affiché. Il espère secrètement que la petite assemblé, qui n’a pas raté une miette de son entrée, a été impressionné par cette assurance dans la démarche. Comme si il savait parfaitement ce qu’il faisait. Loin s’en faut bien sur.
Il profite du temps d’attente pour observer ces grands bureaux et plusieurs choses le frappent. Les salariés déjà, tous en train de travailler, que ce soit au guichet ou plus en retrait, en train d’aider leur collègues en première ligne. Le personnel qui renseigne les arrivants ensuite, qui les guide vers les bons formulaires, pas forcément souriant mais pas agressif non plus. Et enfin, le roulement qui s’effectue aux guichets (au nombres de 5). Si la personne qui prend votre dossier en charge est occupée trop longtemps dans les bureaux, elle est remplacée pour ne pas perdre de temps.
C’est son tour. Toujours la même phrase d’introduction et le même regard larmoyant en face. Et toujours une âme charitable complètement bilingue pour s’occuper de lui. Le temps d’un instant, il retombe en enfance, du temps ou la maîtresse lui montrait ce qu’il fallait écrire dans chaque case. Car après tout, le formulaire à remplir n’est rien d’autre qu’un empilement de cases, chacune reposant sur celle d’en dessous, non par ordre d’importance mais par logique de hiérarchisation de l’information. Pendant qu’il remplit le formulaire, l’employé de mairie prend tous les documents qu’il a sur lui pour en avoir une copie. Passeport, carte de résident, contrat de location, tout est bon à prendre. Si il avait eu une carte de piscine, nul doute qu’elle en aurait aussi fait une photocopie. Afin de compléter sa carte de résident, on lui demande de patienter, en précisant qu’on l’appellera par le même numéro. Jusque la, tout allait bien pour lui et il s’en réjouissait.
Il ne savait pas combien de temps s’était écoulé quand on l’appela en japonais. Le visage qu’il avait en face lui était totalement étranger. Elle a du se dire la même chose. Le plus naturellement du monde, il se fit enchainer par une déferlante de phrases en japonais. Ne sachant que faire, il adopta la position de défense universelle. Il sourit. Du plus profond de son coeur, il lui sourit, tout simplement. Un sourire de chaton diraient certains. Et elle comprit. Elle répéta plus lentement, associant ses gestes avec 2 mot d’anglais. Health insurance. Elle parlait une langue contextuelle et il le savait. Si il arrivait à comprendre quelques mots dans une phrase, le contexte lui permettrait d’extrapoler le reste et de comprendre. Dans le cas présent, elle lui avait juste indiqué le bureau lui permettant de s’inscrire à la sécurité sociale du pays. Le plus dur n’est pas forcément de comprendre, mais de se faire comprendre et il lui fallut encore user de son sourire pour transmettre son message. Une assurance santé, il en avait déjà une. Elle le comprit grâce à ses petites fiches, mi grafiti mi anglais, pleine de question type. Dans le doute, elle appela sa collègue bilingue mais celle-ci ne lui dit rien de plus et toutes deux le remercièrent.
Il avait sa carte de résident remplie, la matinée touchait à sa fin. Toujours habillé trop chaudement, il laissa derrière lui cet hôpital ou l’on soigne les formulaires, pour retourner dans sa petite France. Il venait de vivre une aventure à son échelle. Non pas l’échelle de sa taille, mais à l’échelle de son courage. C’était une épreuve. Et il devrait la surmonter à chaque fois que la bougeotte le prendrait, à chaque fois qu’il s’expatriera d’un quartier.
Mais après tout, c’est normal, lui diriez-vous, car après tout, il etait japonais.
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